Philauloin, prochain voyage: septembre!

25 février 2006

Mille mots valent une image

Ils vous attendent en tremblant,
n’ont plus de rêve ni mémoire
et leurs dents tombent en croquant
dans vos promesses, dans vos miroirs.

Extrait de "La Mer intérieure" de Richard Desjardins

J'écris beaucoup ces temps-ci mais que voulez-vous, ce blog me sert aussi de journal de bord a propos de mes études ici donc aussi bien y collecter mes impressions et idées, aussi peu pertinentes qu'elles puissent être.

Je suis allé à un autre épisode du Carnaval hier. Cependant, c'était décidemment triste et ennuyant. Il y eut un seul participant et personne ne dansait. Mais le clou de la soirée a été une expérience gastronomique. Les organisateurs nous offrent le souper et amènent une soupe un peu spéciale. Lorsque le bol arrive je me dit: "Ça y est, je mange de la soupe avec des yeux". En effet, il y avait 2 petites boules ovales qui flottaient dans la soupe. Et la gastronomie amazonienne réserve souvent des surprises donc je m'attable pour ouvrir mes yeux en me demandant quelle sera la texture. Je me rappelle bien ma dissection d'un oeil au secondaire et je me demande si mes dents seront aussi efficaces que le scalpel. Mais, en y regardant de plus près, il n'y a pas de pupille ou d'iris, ce n'est donc pas des yeux. Deuxième idée. Est-ce que ça pourrait être ce qu'on appelle affectueusement des amourettes d'un mammifère quelconque? J'ai bien vu des héros de Fear Factor s'empifrer de la masculinité d'animaux et l'idée de manger l'émasculation d'un mâle me lève un peu le coeur. Mais non, ce n'est pas de la masculinité mais bien de la féminité. Les boules en questions sont des oeufs non ponds récoltés dans une poule qui a été tuée alors qu'elle produisait des oeufs. Il n'y a pas vraiment de coquille solide, mais quand même un jaune. Beaucoup mieux n'est-ce pas?

Et cette réflexion culinaire m'a amené à me pencher sur un autre sujet, mes dents. J'ai en effet une sorte d'inconfort bénin suite a la poussée maintenant complétée de mes dents de sagesse. Hé oui, je deviens vieux. Vieux ou sage, à vous de décider. Les dents, avec les mains et les pieds sont sans doute les parties du corps qui reflètent le mieux la condition sociale d'une personne. Qui n'a pas serré la main d'un bûcheron "avec des bras durs comme de la roche et des cuisses comme des troncs d'arbres"? Et les pieds doux et roses des Nordistes contrastent avec la chaleur et la dureté des pieds de ceux qui marchent et travaillent en sandales ou nu-pieds. D'ailleurs le pied est sûrement la partie du corps qui nous rappellent le plus notre origine animale. Dommage que nous ne puissions plus opposer notre gros orteil aux autres orteils. Ce serait rudement pratique. Peut-être pas pour marcher mais pour le reste...

Mais les dents sont, à mon avis, encore plus révélatrices. Y sont tu assez haïssables les stars de cinéma avec leurs dents parfaites, droites et blanches?!? En Équateur, il est courant de voir des jeunes urbains bien branchés porter des broches, sans doute pour leur santé buccale mais aussi, et surtout, pour montrer qu'ils ont les moyens d'avoir des belles dents. Et, c'est bien connu, les autochtones ont des dents pourries, souvent remplacées par des morceaux d'or ou d'argent. Et les dents, comme les dentistes, semblent un thème majeur des meilleurs oeuvres de fiction latino-américaines. Le court conte "En estos dias" publié dans le recueil "Les Funérailles de la grande Mémé" du Colombien Garcia Marquez disponible en cliquant ici raconte admirablement bien le dilemme de la violence, de la corruption et de la guerre sur une chaise de dentiste. Si vous lisez l'espagnol, laissez-vous tenter par ce conte.

Et après avoir lu "Le Vieux qui lisait des romans d'Amour" de Luis Sepulveda, un roman qui se déroule exactement où je me trouve présentement en Équateur, comment oublier la description du dentiste? Vous trouverez a la fin de ce message un extrait de ce livre.
Tout ça pour dire que je n'ai pas envie d'aller voir un dentiste présentement.

Les quelques habitants d'El Idilio, auxquels s'étaient joints une poignée d'aventuriers venus des environs, attendaient sur le quai leur tour de s'asseoir dans le fauteuil mobile du dentiste, le docteur Rubincondo Loachamin qui pratiquait une étrange anesthésie verbale pour atténuer les douleurs de ses clients.

- Ça te fait mal ? Questionnait-il.
Agrippés aux bras du fauteuil, les patients en guise de réponse, ouvraient des yeux immenses et transpiraient à grosses gouttes.

Certains tentaient de retirer de leur bouche les mains insolentes du dentiste afin de pouvoir lui répondre par une grossièreté bien sentie, mais il se heurtaient à ses muscles puissants et à sa voix autoritaire.

Tiens-toi tranquille, bordel ! Bas les pattes ! Je sais bien que ça te fait mal. Mais à qui la faute, hein ? A moi ? Non : au gouvernement ! Enfonce-toi bien ça dans le crâne. C'est la faute au gouvernement si tu as les dents pourries et si tu as mal. La faute au gouvernement. Les malheureux n'avaient plus qu'à se résigner en fermant les yeux ou en dodelinant de la tête.
Le docteur Loachamin haïssait le gouvernement. N'importe quel gouvernement. Tous les gouvernements. Fils illégitime d'un émigrant ibérique,il tenait de lui une répulsion profonde pour tout ce qui s'apparentait à l'autorité, mais les raisons exactes de sa haine s'étaient perdues au hasard de ses frasques de jeunesse, et ses diatribes anarchisantes n'étaient plus qu'une sorte de verrue morale qui les rendait sympathique.
Il vociférait contre les gouvernements successifs de la même manière que contre les gringos qui venaient parfois des installations pétrolières du Coca, étrangers impudiques qui photographiaient sans autorisation les bouches ouvertes de ses patients.


Extrait de "Le Vieux qui lisait des romans d'Amour" de Luis Sepulveda



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