Philauloin, prochain voyage: septembre!

31 mars 2006

L'Empire contre-attaque



Question de vous prouver que ce n’est pas une vulgaire thrombose qui me fera cesser de sévir sur le World Wide Web j’en profite pour récidiver et vous faire parvenir ce nouveau message en direct de la jungle amazonienne.

Hier, j’ai été visité la communauté autochtone de Pachakutik qui fêtait son 9e anniversaire de fondation. En fait, le hameau de 126 personnes existe depuis 12 ans mais il a été ignoré par les autorités dans ses premières années. 126 personnes et 7 maisons…



Pachakutik veut dire en quechua « retour du temps ». Le vocable Pacha est fondamental pour comprendre la culture quechua. Pacha c’est le temps et l’espace en même temps. C’est aussi la terre, la Pachamama. Le Pachakuti c’est aussi celui qui transforma la ville de Cuzco en la capitale, le cité-puma, des Fils du Soleil. L’expression « empire Inca » est un pléonasme qui n’a rien à envier à « monter en haut » ou « agriculture biologique » puisque « Inca » en langue quechua signifie exactement « Empire ».
Pachakutik, pour terminer, c’est aussi le nom du parti autochtone qui coalise les autochtones, surtout les catholiques et de « spiritualité andine» du pays.

Mais le village de Pachakutik remporte la palme du village le plus pauvre que j’ai pu visiter. J’y ai vu des enfants mal nourris avec la bédaine gonflée comme on voit à la TV et la grande majorité des femmes étaient enceintes. Notre rôle comme radio est de couvrir leur événement et de faire un recensement de la communauté. À la question, « de quelles maladies la communauté souffre t’elle ?» Le leader a répondu tout de go : « paludisme, dengue, tuberculose, anémie, grippe, diarrhée, ce sont surtout les maladies qui nous attaquent ». Je vous rappelle qu’il y a 126 habitants. Détail: il n'y a pas d'eau courante, d'égout ou d'électricité. Ce que les habitants ont demandés au conseiller municipal présent (du parti Pachakutik) c'est une cuisine collective. Le bonhomme répond: "Ouin, c'est une bonne idée, mais vous pensez pas que l'eau c'est prioritaire?" Vous comprenez un peu mieux les défis de la gestion participative en milieu rural.

Le clou de ma visite a quand même été le repas, comment aurait-il pu en être autrement. Digne de Indiana Jones, j’ai mangé du singe. Pas la tête comme dans « Temple of Doom » mais probablement le flanc. Je n’ai pas posé trop de questions. Et avant de le servir, j’en ai vu un qui avait été fumé. C’était un tout petit singe dans une pose de Superman, le corps tout allongé, très athlétique. Et comme breuvage, le traditionnel est la chicha. C’est la fermentation de plantes de la région. Les femmes mâchent la plante et la font fermenter 8 jours dans un baril. Ensuite c’est servi dans un bol. Il faut cracher les « mottons » qui on le comprend sont ce que les femmes ont mâchés avec amour pour préparer la boisson. Avant de vous écoeurer, passons à un sujet plus intéressant, c’est-à-dire la chronique de ceux qui n’ont pas survécus à un accident cardio-vasculaire et sont maintenant célèbres.

José Cabrera Roman, 71 ans, était notaire de profession et shylock par passion. Pas un simple notaire de campagne, Cabrera a été président de la Fédération des Notaires de l’Équateur, respectable, il est président du Club Lions de Machala. Machala c’est LA capitale mondiale de la banane. De là à décrire le pays comme une République de Banane il n’y a qu’un pas, que je ne ferai pas.

Voici donc que notre notaire se dédie au prêt à l’usure comme une certaine famille Théodore que certains connaissent peut-être. Dans un pays comme l’Équateur où l’épargnant ne peut espérer plus de 3% pour ses économies et l’emprunteur 14% pour son crédit et où les banques font faillite régulièrement, les prêteurs de coin de rue font des affaires d’or. C’est ainsi que Cabrera s’est mis à accepter l’épargne de ses compatriotes à un taux de 10%... mensuel. 120% par année si on ne réinvestit pas les intérêts. Essayez de battre ça voir ! Pour faire des affaires avec le notaire un minimum de 10000$ est exigé. Les gens se mettent donc ensembles. C’est ça l’essence de la coopération.

Les économistes estiment donc que le notaire fait des affaires avec environ 160.000 personnes dont 6000 militaires et policiers (chiffre admis par les autorités militaires). Les mauvaises langues disent même que si les militaires ont acceptés un gel des salaires pendant 4 ans c’est en échange de leur participation au petit commerce de Machala. Vous comprendrez que le montant en jeu est phénoménal. Les estimations vont de 400 à 800 millions de $US.

Mais l’histoire d’amour entre les milliers d’épargnants et le notaire devait prendre fin par la crise cardiaque de ce dernier. Vous apprenez à la télévision que le bonhomme à qui vous avez prêté illégalement toutes vos économies (et vos emprunts) vient de mourir. « Oups, je vais devoir m’occuper de mes affaires ». Ainsi, des milliers d’Équatoriens se rassemblent au bureau du notaire pour apprendre que l’argent a disparu. Les forces armées prennent l’avion présidentiel sans permission et vont saisir l’argent. Les soldats sont attaqués par une foule en colère qui se bat pour les liasses de 100$.

Le comble arrive quand la rumeur court que le notaire Cabrera n’est pas véritablement mort mais, comme pour Elvis ou John F. Kennedy, c’est quelqu’un d’autre qui a été enterré. La foule en colère se rend au cimetière et détert le fameux notaire. Certains courageux vont même jusqu’à couper un morceau de son visage pour des preuves d’ADN.

Pendant ce temps, la famille file à l’anglaise à Miami. (Ils font une french leave comme on dit en anglais)

Si les clients représentent une famille cela signifie que 6% de la population du pays a participé à l’arnaque.


"Un notaire exquis, usurier et consommateur de Viagra... si l'histoire de José Cabrera pouvait n'être que cela. Mais non. C'est celle d'un miroir dans lequel les citoyens refusent de se regarder. Et l'on ne se regarde pas. Et l'on ne veut pas le faire, parce que l'image qu'elle montre, la réalité qu'elle contient est tellement crue qu'elle est insoutenable." (José Hernández, Revista Vanguardia


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